Un tiers-lieu pour redynamiser un bourg, est-ce vraiment si simple ?

29/09/2025 - Journal des territoires

Ces derniers temps, j'ai eu l'occasion d'accompagner plusieurs initiatives en milieu rural et péri-urbain visant à réhabiliter un lieu libre (ancienne école, ancien commerce, bâti vide appartenant à la commune...) dans le but de créer une dynamique économique locale et de favoriser les liens et rencontres, en confiant son animation à un groupe d'habitants. Les contextes et acteurs sont différents, les enjeux locaux également. Néanmoins, il me semble identifier un certain nombre de conditions pour favoriser la pérennisation de ces lieux et je vous propose de les partager ici en réponse à mon titre volontairement interrogatif !

  • Quel portage du projet ?

Dans plusieurs cas rencontrés, la commune a identifié un bâtiment potentiellement exploitable comme lieu pour un futur commerce ou tiers-lieu et s'engage à le réhabiliter pour permettre au lieu d'exister. En contrepartie en quelque sorte, elle propose que des habitants se réunissent et prennent les commandes de l'animation du lieu, bien souvent de façon bénévole. Or, le portage d'un lieu ne se décrète pas. Je constate que si le groupe d'habitants n'est pas à l'origine du projet initial, il a du mal à s'approprier une idée qui reste avant tout le projet de la mairie à leurs yeux.

A contrario, si un groupe d'habitants déjà constitué sollicite la commune avec un projet pour redynamiser le territoire à travers l'animation d'un lieu, la motivation, l'appropriation, et surtout l'engagement individuel et collectif des membres du groupe vont favoriser l'émergence et la réussite du projet. Ils se sentent investis et responsables, bref, ils le portent véritablement et la mairie est avant tout un partenaire.

  • La limite du bénévolat

S'occuper d'un lieu, de ses activités, des adhérents ou public demande du temps et des compétences : c'est extrêmement engageant. Certaines personnes acceptent ce degré d'engagement pour des raisons diverses : elles ont du temps, elles souhaitent s'investir pour leur territoire ou nouer de nouvelles relations, elles espèrent créer leur poste salarié, etc. Mais bon nombre de personnes ne peuvent pas donner ce temps ou ne souhaitent pas renoncer à leur liberté individuelle. Cela signifie que bien souvent, le fonctionnement du lieu peut reposer sur les épaules d'un petit noyau de 2-3 personnes qui vont s'épuiser au bout d'un moment (ou concentrer les décisions). Par ailleurs, gérer un lieu avec tout ce que cela comprend, exige des compétences en gestion de projet, en animation d'une gouvernance. Il existe des programmes subventionnés (cf le programme Cap tiers-lieux animé par la CRESS en Pays de la Loire) pour aider les bénévoles à monter en compétences, mais cela demande du temps et une mise à l'épreuve des acquis.

Epicerie associative

Dans les cas rencontrés récemment, les tiers-lieux les plus robustes s'appuyaient sur un groupe de bénévoles important : cela permet de mieux répartir les tâches et les responsabilités et de dégager du temps pour se former. Les groupes de taille restreinte s'épuisaient et finissait par jeter l'éponge.

Et soyons très clairs, les lieux bénéficiant d'un poste de salarié sont ceux qui fonctionnent le mieux parmi les exemples rencontrés.

  • Le lien au territoire et ses acteurs

Il peut exister une tendance parmi un groupe de bénévoles de se laisser emporter par son enthousiasme et ses envies et de foncer tête baissée sans prendre un compte les enjeux du territoire, les besoins et envies des habitants, les autres acteurs économiques du territoire qui peuvent percevoir le nouveau lieu comme une forme de concurrence. Pour forcer le trait, j'ai rencontré une situation il y a quelques années où le projet était vu par les anciens habitants comme un projet de "beatnik" qui allait mettre le bazarre dans le hameau avec leurs idées farfelues ! Lors d'un accompagnement plus récent, ce qui ressortait du diagnostic de territoire était moins le besoin d'un lieu spécifique qu'un enjeu autour d'une zone de loisirs non entretenue qui aurait pu devenir un lieu convivial et de rencontres intergénérationnelles. Enfin, dans plusieurs cas, les porteurs de projets ont refusé d'inviter certains commerçants aux réunions à l'excuse que ces derniers n'avaient pas les mêmes valeurs ou n'étaient pas avenants, créant ainsi des tensions potentielles.

stand porteur de paroles La Chpelle St Sauveur

En phase de démarrage, l'identification et la rencontre des acteurs du territoire est indispensable pour réussir son implantation, répondre aux enjeux locaux, rassurer sur ses intentions, éviter la création de clans "pour" et "contre". Et c'est le début de l'apprentissage de l'intelligence collective, c'est à dire la capacité à travailler à plusieurs malgré la diversité des positionnements et points de vue.

  • Risques de conflits et mise à jour des intentions des partie-prenantes

Articuler les différentes visions des membres du groupe, surtout si le portage n'est pas clairement défini, si le cadre de l'action reste flou, si les intentions individuelles et collectives ne sont pas ouvertement abordées, peut mener à des désaccords plus ou moins importants. Parfois, les membres des groupes n'ont pas monté de projet collectif auparavant et leur fonctionnement collectif manque de maturité (et c'est normal !). Prendre des décisions collectivement n'est pas si simple et pour éviter le conflit, certains se plient aux décisions des meneurs, mais une dissatisfaction de ne pas être entendu ou de ne pas avoir de place pour s'exprimer reste et crée des frustrations qui vont un jour exploser.

Pour toutes ces raisons, une des conditions qui me semble nécessaire à la mise en place d'un tiers-lieu est un travail préalable de clarification et de partage au sein du groupe (et avec les parties prenantes) :

  • Travailler collectivement la vision et la raison-d'être du lieu (l'intention collective du projet), ce que chacune et chacun est prêt à y mettre, ses motivations (l'intention individuelle) et vérifier ensemble que ces intentions se rejoignent.
  • Partager la manière dont on va prendre des décisions, voire nommer et répartir les tâches nécessaires au fonctionnement du lieu et préciser le rôle des partenaires.
  • Prévoir des espaces de régulation et/ou d'expression.

Atelier Chapelle St Sauveur

Cette étape est frustrante certainement car on n'est pas dans l'action, les résultats ne se voient pas, on a l'impression de "ressasser" les idées plutôt que d'agir. Dans les cas rencontrés, j'ai pu constater pourtant que ce travail de fonds avaient permis au groupe de cheminer vers une maturité, de porter une attention authentique aux individus et au collectif et de favoriser la co-construction.

Il ne s'agit pas d'éviter le conflit, mais bien de créer des espaces où ce conflit pourra être mis à jour sans être destructeur. Bien entendu, il s'agit de revisiter cette étape régulièrement pour vérifier les intentions, les rôles et postures, les espaces d'expression et de régulation.

En conclusion...

Ces constats ne prétendent pas être exhaustifs et ils ne prémunissent pas totalement contre l'échec (est-ce réellement un échec d'ailleurs?) d'un projet. En réalité, les facteurs de pérennisation d'un tiers-lieu, d'une épicerie ou d'un bar associatif sont multiples. Je n'ai pas du tout abordé la question du modèle économique par exemple. Mais, ce sont ici des tendances constatées à plusieurs reprises et qui peuvent permettre de requestionner son projet pour le rendre plus robuste dans la durée.

Vous souhaitez en savoir plus sur les exemples abordés dans cet article ? C'est ICI puis ICI et LA.

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