Participation citoyenne : est-il réellement nécessaire de monter en compétences techniques pour exercer une véritable influence ?

2/09/2025 - Journal des territoires

Une volonté affirmée de mettre la gestion de l'eau en dialogue

J'accompagne depuis janvier dernier, avec mon collègue Vincent Chaillou d'Histoires de Ville, le Syndicat du bassin versant Grandlieu Estuaire (SGLE). La gestion de l'eau n'est plus un sujet lointain, confiée à des techniciens dans des organisations inconnues du grand public. De plus en plus, l'eau, sa qualité et sa quantité, sont au cœur des préoccupations des habitant.es comme en témoignent les nombreux articles dans nos quotidiens régionaux ou nationaux. C'est une des raisons pour lesquelles le SGLE a souhaité associer les habitant.es du bassin versant à la réflexion sur l'élaboration d'un projet de territoire de gestion de l'eau (PTGE), document de planification de la gestion de l'eau désormais obligatoire. Il s'agit d'une démarche qui s'inscrit dans le long terme : un groupe d'acteurs professionnels du territoire (pêcheurs, agriculteurs, associations de préservation de la nature, représentants de l'Etat et des collectivités territoriales, etc) planchent sur le sujet depuis plus d'un an déjà et l'idée est également de nourrir leurs réflexions avec les apports d'un panel citoyen, non-spécialiste de la question de l'eau.

Notre rôle est d'accompagner le panel citoyen, dont une partie est volontaire et l'autre tirée au sort, afin qu'il puisse apporter une contribution citoyenne au futur PTGE. Très vite, il est devenu évident que les enjeux se situent autour de la qualité de l'eau (l'eau du bassin versant de Grandlieu est polluée ce qui nuit à la biodiversité) et de sa quantité (globalement, le débit est faible dans l'ensemble des cours d'eau), ce qui influe à son tour les usages (essentiellement l'agriculture, mais aussi les loisirs, l'assainissement, etc) et le bon état des milieux (favorisant notamment la population piscicole).

Est-ce réellement possible de demander à un groupe citoyen d'émettre un avis argumenté sur ces questions alors qu'il ne maitrise pas les éléments techniques et qu'il n'a pas vocation à devenir un technicien de l'eau ? Quelle peut être alors la plus-value de son apport ? Et quelle est sa légitimité vis-à-vis des acteurs professionnels pour qui le futur PTGE pourra influer directement sur leur capacité à gagner leur vie ?

Différentes images de l'accompagnement au panel citoyen du syndicat de bassin versant Grandlieu

Une tendance à aborder le sujet essentiellement par le prisme technique

La technicisation est omniprésente lorsque l'on aborde la question de l'eau, à commencer par un jargon très spécifique autour des DOE (débit objectif d'étiage), des VP (volume prélevables), de l'étude HMUC (un diagnostic en termes d'Hydrologie, des Milieux, des Usages et du Climat) et on peut vite se trouver happé par ce prisme. Ce risque est renforcé par la présence d'un bureau d'études dont la vocation est d'analyser la question de l'eau sur le bassin versant par le prisme technique. De notre côté, nous avons tenté de rester vigilant en proposant une phase de visites terrain pour répondre à un premier questionnement très ouvert du panel citoyen sur le bassin versant. Les visites et rencontres permettent de réinjecter de l'humain dans les considérations techniques, de se rendre compte de la complexité du sujet et d'éviter les réflexions purement binaires (les "bons" d'un côté et les "méchants" de l'autre). A la suite de cette phase, nous avons souhaité faire émerger les controverses en nous inspirant de l'outil très puissant de Bruno Latour, la cartographie des controverses, afin d'essayer d'identifier les possibles marges de manœuvre sur lesquels les différents acteurs (qu'ils soient citoyens, associatifs, professionnels organisés en collectifs ou individuellement) peuvent agir. A mon sens, c'est à ce stade que la plus-value citoyenne peut réellement émerger, mais il est nécessaire d'accepter qu'elle ne répond pas forcément directement aux questions posées par l'étude technique HMUC qui préfigure le PTGE (à savoir, faut-il privilégier les usages au détriment des milieux ou le contraire, et comment décider de cela ?).

Il me semble que pour s'assurer du regard citoyen, non-expert, il est important de poser un cadre concernant les attentes vis-à-vis du panel citoyen dès le départ de la démarche. Ensuite, il me semble que c'est de saisir les grands enjeux pour un territoire donné qui est important, au-delà de comprendre dans le détail les unités hydrologiques, les VP ou les DOE, afin d'identifier plus clairement les espaces parfois inattendus où des suggestions citoyennes peuvent trouver leur place.

La plus-value citoyenne : un équilibre délicat, mais avant tout, un regard sensible sur des questions complexes

La difficulté alors, et c'est la prochaine phase de notre accompagnement, c'est de s'assurer que les considérations citoyennes se retrouvent dans le document du PTGE et se traduisent par des actions concrètes appropriables. Par exemple, une fois que le groupe a identifié que le développement du territoire est actuellement basé un modèle d'expansion (le grignotage des surfaces agricoles, le développement de certains secteurs agricoles, l'expansion des zones artificialisées en Loire-Atlantique, etc) et que ce modèle est difficilement compatible avec la réduction des prélèvements en eau, comment est-il réellement possible de traduire cela par un programmes d'actions à mettre en œuvre localement ? Comment sortir de visions générales qui relèvent de politiques nationales pour les faire "atterrir" ici sur le bassin versant de Grandlieu ?

La tentation est de proposer des solutions techniques qui permettent par exemple de diminuer la consommation d'eau tout en maintenant des activités économiques productivistes (par exemple le maraichage intensif qui a fait des efforts impressionnants pour diminuer sa consommation d'eau et qui continue de produire des tomates en hiver en réponse à la demande du consommateur). Mais le groupe est ni expert ni légitime pour ce faire et à mon sens il passerait à côté de ce qu'il peut apporter comme plus : un regard distancié et empreint de sensibilité qui vient requestionner nos modèles actuels. Notre rôle sera de veiller à trouver cet équilibre entre des prismes techniques et professionnels, humains et sensibles, pragmatiques et réalistes pour que le groupe citoyen influe véritablement le plan d'actions prévu dans le PTGE, et ce en dialogue et aux côtés des experts.

Si ces questions vous parlent, n'hésitez pas à cliquer ICI pour en savoir plus sur la démarche et/ou à me contacter à : anne@aufildesterritoires.fr